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Diriger Johnson & Johnson en période de crise : Un entretien avec Alex Gorsky

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Un entretien avec Alex Gorsky

Pour traverser une période difficile, une entreprise a besoin d’un leader qui comprend l’importance de penser de façon proactive et de conserver une longueur d’avance. Faire cela à une échelle internationale ne fait que rendre la tâche plus difficile, mais c’est ce qu’Alex Gorsky a fait à Johnson & Johnson.

M. Gorsky est l’un des sept dirigeants qui ont agi à titre de président du conseil et de chef de la direction de J&J depuis que la société a été inscrite à la Bourse de New York, en 1944 (Joaquin Duato lui a succédé à titre de chef de la direction au mois de janvier dernier). J’ai récemment eu l’occasion de m’entretenir avec M. Gorsky – aujourd’hui président du conseil de J&J – pour discuter de la façon dont il a géré les efforts menés par l’entreprise en vue de mettre au point un vaccin contre la COVID-19, de l’importance de faire de la diversité, de l’équité et de l’inclusion des éléments à part entière de la culture d’entreprise, et d’un geste que, selon lui, tous les dirigeants devraient poser.

Voici un résumé de notre entretien.

Il est payant d’avoir une vision à long terme

« Si vous m’aviez dit, il y a 40 ans, au moment où je sortais de l’université, que je dirigerais un jour la plus grande société spécialisée dans les soins de santé au monde en plein cœur de la pandémie la plus importante à laquelle le monde ait jamais fait face, et qu’en même temps, je travaillerais à la recherche d’un vaccin, je vous aurais demandé ce que vous avez fumé. Je n’aurais jamais pu m’imaginer ça. »

Pourtant, c’est exactement ce qu’Alex Gorsky a accompli. Même s’il peut se targuer d’avoir accompli de nombreuses réalisations au cours de son mandat de près de dix ans à titre de président du conseil et de chef de la direction de J&J, notamment le fait d’avoir augmenté de plus de 60 % les dépenses de recherche et de développement de l’entreprise, les efforts consentis par sa société en vue de mettre au point un vaccin contre la COVID-19 viennent en tête de liste de ses exploits. « Il n’aurait jamais été possible d’accélérer la mise en œuvre d’une technologie qui aurait normalement pris environ 17 ans à développer, et de le faire dans une période de 12 mois, sans des décennies d’investissements dans la recherche et le développement, à coups d’essais et d’erreurs, » a raconté M. Gorsky.

Il a expliqué que peu de temps avant qu’il ne soit nommé chef de la direction, la division pharmaceutique de J&J avait pour vision de créer un monde sans maladies. Pour y parvenir, elle devait devenir une société spécialisée dans le développement de vaccins. C’est donc ce que M. Gorsky a entrepris d’accomplir. « Nous ne disposions pas de la technologie nécessaire à l’interne, alors nous avons investi près de deux milliards de dollars dans une société de vaccins. Au cours des cinq années suivantes, comme c’est souvent le cas, certaines choses ont fonctionné, mais beaucoup d’autres, non. »

M. Gorsky a supervisé la distribution du vaccin contre le virus Ebola réussie par la société. Les techniques utilisées ont ensuite servi de base pour le vaccin contre la COVID-19 de J&J, le premier vaccin à dose unique offert sur le marché. « Très vite, nous avons décidé que nous devions travailler à l’échelle mondiale, a déclaré M. Gorsky. Nous étions d’avis qu’il était absolument essentiel de proposer un vaccin à dose unique qui ne nécessiterait pas un degré extrême de réfrigération pour pouvoir le distribuer partout dans le monde, là où nous pensions qu’un vaccin à deux doses ne fonctionnerait pas. Nous savions qu’il y aurait des compromis à faire entre une efficacité à court terme et à long terme. Mais nous savions aussi que si nous allions vers un vaccin à une seule dose, nous serions capables d’en produire deux fois plus afin de pouvoir les distribuer plus rapidement aux gens partout dans le monde. »

Diriger dans les moments difficiles

Bien entendu, comme tous les leaders, M. Gorsky a dû composer avec les turbulences qui ont suivi la pandémie, notamment les troubles géopolitiques et l’incertitude économique. Il a expliqué comment il a pu inspirer son équipe et favoriser la croissance de J&J sur des nouveaux marchés. Il a également mis en garde contre la tentation de considérer les leaders comme des maîtres à penser qui savent tout.

« Trop souvent, nous avons cette image du leader parfait qui, au moment parfait et sur un ton parfait, a toute la clairvoyance nécessaire pour pouvoir dire : voici ce que nous devons faire. Mais c’est complètement faux, a-t-il dit. Ce n’est pas comme ça que les choses fonctionnent aujourd’hui. On travaille sans arrêt dans l’urgence. Nous sommes constamment confrontés à de l’incertitude et à des situations ambigües. Et il faut se sentir à l’aise de pouvoir être obligé de fonctionner dans ce genre de situation. »

Pour M. Gorsky, il faut commencer par former une excellente équipe. C’est particulièrement vrai lorsque l’on dirige une entreprise aussi grande et aussi complexe que J&J, qui expédie chaque jour plus de 330 000 articles, exploite la plus grande entreprise pharmaceutique au monde, met au point des traitements pour divers cancers et maladies infectieuses et travaille à des avancées dans le domaine de la chirurgie robotisée. Comme M. Gorsky l’a souligné, il est impossible pour une personne d’être un expert dans tous les domaines de la gestion d’une entreprise. Il est essentiel de s’entourer de personnes brillantes qui sont habilitées à prendre des risques calculés, et cela nécessite une culture d’entreprise qui le permette.

« Si je n’ai pas des experts en qui j’ai confiance dans tous les domaines, des gens qui sont extrêmement compétents et dont je n’ai pas peur de faire baisser la moyenne de quotient intellectuel de 40 points lorsque j’entre dans une pièce où ils se trouvent, alors je ne peux tout simplement pas réussir, a-t-il expliqué. L’autre élément essentiel pour moi, c’est de donner le pouvoir d’agir à mes employés. Et de m’assurer qu’ils sachent bien que s’ils prennent des risques, je serai là pour les couvrir. Les gens doivent se sentir autorisés à agir et redevables, et on ne peut pas y arriver en faisant de la microgestion à partir du centre et en essayant de prendre chaque décision à partir du siège social plutôt qu’en écoutant ceux qui sont en fait les plus près des patients ou des clients.

« Et vos employés doivent ressentir ce genre de pouvoir qui leur est accordé, ils doivent en avoir été témoins », a poursuivi M. Gorsky. « Et vous devez vous assurer que les personnes dont vous vous entourez adoptent elles aussi ce genre de comportements et de valeurs. Dans les grandes organisations, il est absolument essentiel de veiller à ce que les leaders de votre équipe adoptent ce genre de comportements et en donnent l’exemple tous les jours. Je crois que la culture d’entreprise l’emporte sur la stratégie et sur bien d’autres choses, en tout temps. »

Une culture axée sur la diversité

L’engagement envers la diversité, l’équité et l’inclusion fait également partie intégrante de la culture de J&J. Comme M. Gorsky l’a souligné, c’est un ingrédient essentiel à la réussite dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. C’est une valeur qu’il dit avoir adoptée très tôt, à l’époque où il servait dans l’armée.

« Dans l’armée, nous n’avions pas la possibilité de choisir les personnes qui faisaient partie de notre unité, a-t-il expliqué. On ne pouvait pas choisir avec qui on travaillait, ni pour qui on travaillait. Il fallait trouver une façon de s’entendre avec les autres, car il n’y a pas de leadership si les gens ne vous suivent pas. Pour moi, cette expérience s’est avérée fondamentale pour me faire comprendre nous partageons tous une humanité commune. À partir de là, comment fait-on pour travailler ensemble? Comment faire en sorte qu’un plus un plus un égale sept au lieu de seulement trois? Et sachant que je dois m’entendre avec les autres sur le plan personnel, peu importe leurs origines ou leur race, comment puis-je adapter mon style de leadership pour y parvenir? Ce furent des leçons très importantes à retenir. 

M. Gorsky a expliqué que pour faire de cette vision une réalité dans le contexte d’une grande organisation, il faut mettre en place les systèmes et les processus qui permettent à la diversité, à l’équité et à l’inclusion de faire partie de ses valeurs fondamentales. Et cela commence au sommet de l’organisation.

« Si vous vous vous contentez de faire de grandes déclarations mais que votre équipe de la haute direction n’est pas véritablement représentative de la diversité, les gens vous diront que vous parlez pour parler, mais que vous ne prêchez pas vraiment par l’exemple, a expliqué M. Gorsky. Lorsque vous faites du recrutement, à quoi ressemblent vos recruteurs? Il ne s’agit pas seulement de recruter des candidats issus de la diversité, mais de s’assurer que vos recruteurs soient eux-mêmes un exemple de cet engagement envers la diversité. Ce que nous avons constaté, c’est que lorsque les personnes qui font passer les entrevues sont issues d’un groupe diversifié, la probabilité qu’elles recrutent des candidats issus de la diversité augmente considérablement. Nous croyons que c’est quelque chose d’essentiel. »

L’importance d’apporter une touche personnelle

Diriger une entreprise comme J&J est déjà une tâche complexe en soi, mais la complexité du monde qui nous entoure s’est fortement accrue au cours des dernières années. Mais pour M. Gorsky, il existe une méthode toute simple pour resserrer les liens avec ses équipes, qu’il s’est efforcé d’appliquer pendant ses années à titre de chef de la direction.

« Chaque semaine, je dressais une liste de cinq à dix personnes qui relevaient directement de mes subordonnés immédiats ou de leurs subordonnés, j’obtenais leur numéro de téléphone cellulaire, je les appelais en allant au bureau et en rentrant à la maison, et je leur disais : “Salut, comment ça va? C’est Alex. Qu’est-ce que je devrais savoir que tout le monde ne me dit pas? Qu’est-ce que je pourrais faire pour mieux faire mon travail ou pour rendre le tien plus facile?” Vous seriez étonné des réponses. Ce que j’ai constaté, c’est que cela m’a permis de me tenir beaucoup plus au courant de ce qui se passait au sein de l’organisation. Cela permet de mieux sentir ce qui se passe vraiment, parce qu’il y a un sentiment de proximité naturelle qui s’installe. J’ai donc tenté de mettre en place de nombreux mécanismes de rétroaction, à la fois formels et informels. Et j’ai encouragé mes leaders à faire exactement la même chose. »

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Eric S. Smith Vice Chair, BMO Commercial Bank

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